Pendant plus de trente années , Germaine Tillion, a passé la belle saison au bord de la Petite Mer de Gâvres, à Lann Dreff sur la commune de Plouhinec. Ce 30 mai 2007 elle a eu 100 ans. Cent ans d’une vie, à risques, exemplaire. Née en Haute-Loire , c’est auprès de ses « maîtres» Marcel Mauss et Louis Massignon qu’elle devient ethnologue .A ce titre, de 1934 à 1940, elle va effectuer plusieurs missions scientifiques dans les Aurès en Algérie, auprès de ses chers Berbères Chaouias. « Quand j’ai entendu la déclaration d’armistice de Pétain j’ai vomi». 1940, sa vie bascule. Elle s’engage dans la Résistance et crée le réseau Musée de l’Homme. Dix de ses camarades sont fusillés, elle eut « pendant plusieurs mois, parfois plusieurs fois par semaine, l’occasion de dire adieu aux camarades qu’on emmenait au poteau d’exécution». Dénoncée par un prêtre, elle est emprisonnée par l’occupant à la Santé sous cinq chefs d’inculpation à mort. Puis vient la déportation à Ravensbrück où elle découvre l’horreur des camps de concentration. Surgit l’épreuve la plus atroce de sa vie, sa mère, Emilie Tillion, également déportée à Ravensbrück, est assassinée, gazée par les nazis le 2 mars 1945 « parce qu’elle avait soixante-neuf ans ». Durant cette période d’enfer, elle fait la connaissance de Geneviève de Gaulle. Comme un défi au régime nazi elle écrit sous forme d’opérette un livret sur la vie des déportées, « Le Verfügbar aux Enfers » sur une musique d’Offenbach.* Vient la Libération des camps. Germaine Tillion après avoir « perdu l’envie de vivre » s’engage avec une énergie indomptable à reconstituer la liste de tous ces camarades disparus. Un livre « Ravensbrück » démonte la mécanique du régime concentrationnaire.
1954, la guerre d’Algérie est en germe . A la demande de Louis Massignon et du gouvernement, elle accepte de repartir en mission dans cette Algérie qu’elle aime tant. Elle sera « épouvantée » par la dégradation de ce territoire qu ‘elle connaît depuis ses premières missions de 1934, elle parlera alors de « clochardisation ». Là-bas, elle lutte contre la misère en créant les Centres Sociaux qui diffusent l’éducation. Quand la guerre éclate dans le sang, elle s’engage, malgré tous les périls, contre le terrorisme, la torture, les condamnations à mort. Elle dira : « Je n’ai pas «choisi » les gens à sauver : j’ai sauvé délibérément tous ceux que j’ai pu, Algériens et Français de toutes opinions. »
Elle trouvera aussi le temps de créer l’enseignement dans les prisons. Difficile de retracer les « mille vies » de Germaine Tillion. Ajoutons sans être exhaustif son combat permanent pour les droits de l’Homme, question essentielle à ses yeux., donc la défense des minorités, de toutes les minorités. N’oublions pas sa contribution majeure à la cause des femmes et son livre magistral « Le Harem et les cousins ». Ajoutons encore sa participation, dès 1969, à la défense mondiale de la santé publique contre la pollution des eaux, et l’atmosphère aux côtés de René Cassin, Prix Nobel de la Paix. Tout cela en poursuivant son enseignement à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, EHESS, et ses recherches, comme directeur au CNRS.
Ceux qui connaissent Germaine Tillion s’accordent sur deux traits essentiels de cette humaniste inflexible : sa passion de comprendre et « sa tendresse sans borne qu’elle a toujours portée à ses semblables. » J’ajouterai l’humour, la malice, la dérision. Comment se définit-elle ? Comme « une patriote de la justice, de la vérité, de la vie. » En 2004, pour le soixantième anniversaire du programme du Conseil National de la Résistance, avec d’autres résistants dont Lucie Aubrac, elle signa « l’Appel des Résistants aux nouvelles générations ». Tout y est. A lire sur le net.
Dans la petite maison de la Porte Dorée, de sa chambre-bureau, entourée de ses livres, Germaine Tillion suit à travers la fenêtre le va-et-vient « ravissant » des canards et des cygnes qui barbotent sur le lac de Vincennes. C’est là que cette Grand Croix de la Légion d’Honneur, Grand Croix de l’Ordre du Mérite de France et d’Allemagne, entourée de ses proches, a entamé son deuxième siècle. Comme d’habitude, discrètement.
Toute ma vie je me souviendrai de ce jour où je l’ai connue à Plouhinec en 1980. Depuis, je remercie le hasard de la vie de m’avoir fait ce cadeau. Merci pour tout. Les bras chargés de fleurs, le cœur plein d’affection en vous embrassant avec tendresse, je vous souhaite un bon anniversaire Madame.
*Cette opérette va être jouée au Théâtre du Chatelet à Paris les 2 et 3 juin.
Patrice LE BORGNIC, U2R, Auray le 30 mai 2007.